HISTOIRE
D'ÉCHAUFFOUR
PAR LE
GENERAL P. DE LESQUEN
Au Pays
d'Argentelles – La Revue Culturelle de l'Orne
Juillet – septembre 1979
Vous découvrirez à travers ces pages l'histoire
d'Echouffour écrit par le Général P. LESQUEN.
Il nous présente tout d'abord les origines d'Echauffour et
nous rappelle la légende de ce nom. Il retrace ensuite du moyen âge à nos jour
l'histoire d'Echauffour à travers le château. Puis suit l'histoire de la
paroisse et du Poète Echauffourien Paul
HAREL.
Table
des matières
7. Les
Roncherolles de Pont-Saint-Pierre
Le site
d'Échauffour fut certainement habité depuis la plus haute antiquité. Une
notable activité y régnait déjà aux temps préhistoriques, et c'est ainsi que
les habitants de cette époque nous ont laissé de beaux menhirs encore en place,
appelés aujourd'hui les "Croûtes", et aussi un dolmen et d'autres
belles pierres jonchant le sol ; des haches polies ont également été
découvertes (1).
Aux temps
gallo-romains, le site était très habité, et c'est à plusieurs reprises que des
sépultures de cette époque ont été mises à jour. Dans l'une d'elles fut
découvert un magnifique torque (collier de cuivre, parure d'un chef gaulois).
D'autres vestiges du passé, tels que pièces de bronze de Néxon, haches en fer,
poteries, débris de vêtements, attestent qu'une nombreuse population habitait
le territoire actuel de la commune. D'ailleurs, il est certain que le pays
était traversé par des voies romaines qui contribuaient à y entretenir une
bonne activité.
La
présence ici des cultes de saint Martin et de saint Germain, comme à Argentan,
paraît indiquer que le site a été évangélisé au Ve siècle par les
disciples de saint Martin.
Plus
tard, au VIe siècle, aux temps mérovingiens, un saint moine du nom
d'Évroult, fuyant les désordres du monde, vint se retirer à proximité dans un
lieu écarté de la forêt d'Ouche (aujourd'hui de Saint-Evroult‑Notre‑Dame‑du‑Bois);
les dernières frondaisons de cette forêt s'arrêtaient sur les crêtes limitant
au Nord les terres d'Échauffour et descendaient vers le Sud jusqu'au cours de
la Risle. Ayant groupé des disciples autour de lui, Evroult fonda un monastère
dont le rayonnement fut très grand dans les siècles suivants et dont dépendait
un important prieuré situé à Echauffour, au bourg actuel de Saint‑André.
Un moine
de ce monastère, Orderic Vital, vivant à la fin du XIe siècle et au
début du XIIe, a écrit une très intéressante histoire de Normandie à
son époque. Il raconte dans son livre la très curieuse légende d'oÙ
proviendrait le nom même d'Echauffour.
Voici le
récit de cette légende qui se trouve au livre VI de l'Histoire de Normandie
d'Orderic Vital (2).
"L'homme
de Dieu (Evroult), voyant qu'il ne lui était plus possible de supporter
l'affluence des pèlerins qui venaient à lui, prit toutes les dispositions
convenables dans son monastère, puis il se retira secrètement et, pendant trois
ans, se cacha dans une certaine crypte, si bien que presque aucun de ses moines
ne connut son asile, à l'exception d'un seul nommé Malchus, qui était le
filleul de l'homme de Dieu et qui, plus intime que les autres, connaissait tous
ses secrets. Cette crypte était placée sur le bord d'un ruisseau sous une
montagne couverte de bois épais, et était éloignée du monastère de près d'une
demi‑lieue. Cependant le diable, ennemi de tout ce qui est bien, voyant
les moines se livrer aux bonnes oeuvres, s'efforça de les énivrer méchamment du
fiel de sa méchanceté, et de les livrer tous également à des troubles
criminels. En conséquence, il suscita parmi eux une sédition qui fut si
violente que deux des religieux furent tués et que tous les autres furent
affligés dune indicible douleur. Le filleul du serviteur de Dieu, voyant cette
incurable plaie sur le corps de ses frères, courut en toute hâte vers le
médecin qui pouvait la guérir. Dès que le saint homme le vit venir de loin, il
comprit que ce n'était pas sans cause qu'il courait si vite, et, venait à sa
rencontre, il lui demanda la cause de son arrivée, Malchus lui exposa comment
les frères, par l'impulsion du démon, avaient été poussés à la sédition.
Quand
Evroult eut entendu ce récit, enflammé du zèle de Dieu, il frémit et accourut
en toute hâte avec le messager. En arrivant près du couvent, parvenu au lieu où
existe maintenant l'église bâtie en son honneur, toutes les cloches du couvent
se mirent à sonner d'elles-mêmes. Il en arriva autant à celles de l'église
Notre‑Dame et de l'église de Saint‑Martin que l'on appelle
l'Élégante, et où se réunissait la paroisse dans le lieu que l'on appelle
vulgairement aujourd'hui la Bercoterie (3).
Alors le
diable, voyant venir le saint, prit la figure humaine et s'enfuit. Ce que
voyant, le bienheureux, il dit à son filleul – "Mon frère, voyez‑vous
courir cet homme ?". Malchus lui répondit : "Seigneur je ne vois
rien". Voici, répartit Evroult, le diable transfiguré sous la forme d'un
homme, il prend la fuite, et craint de rester plus longtemps en ce lieu".
En disant ces mots, il poursuivit Bélial qui fuyait. Quand il fut parvenu au
village que les habitants appellent maintenant Échauffour, Satan, qui n'avait
pas le pouvoir d'aller plus loin, fut forcé de s'arrêter. Alors le bienheureux
Evroult l'aborda hardiment et le jeta dans un four tout chaud qui était disposé
pour recevoir le pain, et en ferma aussitôt la bouche avec l'étoupoir de fer
que par hasard il trouva là. C'est depuis cet événement que ce lieu s'est
appelé Echauffour (sic)."
La
tradition veut que ce nom d'Echauffour provienne précisément des hurlements du
diable enfermé dans le four par Evroult, et qui criait : "Est chaud le
four! Est chaud le four !".
Le récit
d'Orderic Vital ne s'arrête pas là, et il nous dit ensuite comment les femmes
qui avaient apporté leurs pains purent néanmoins les faire cuire, et aussi
comment Évroult ressuscita les deux religieux qui avaient été tués, les
confessa, et leur donna le Corps du Seigneur avant qu'ils ne rendissent à
nouveau l'esprit !...
Orderic
Vital nomme cette paroisse du nom latin d'Escalfum qui a donné en
français Escalfou en 1211 et Eschauffou en 1490 (4). La forme Echauffour n'est attestée
qu'ensuite. Les formes anciennes dénotent une prononciation populaire Échaufou.
Le récit qu'on vient de lire prouve que le moine de Saint‑Evroult
comprenait le nom comme une corruption de calcis furnus, "le four
chaud", et non de calcis furnus, "le four à chaux",
puisqu'il s'agit d'un four à pain. En fait, il est plus probable que le nom
d'Échauffour provient de la présence de fours à chaux, qui pouvaient aisément
être mis en exploitation à cet endroit par suite de la présence simultanée
d'affleurements de calcaire et de combustible fourni par le bois des
importantes forêts voisines. Cette étymologie est confirmée par un lieu‑dit
"le Four à Chaux", sis dans la commune (5).
L'histoire
du Moyen Age est caractérisée par les luttes incessantes auxquelles se livraient
non seulement les chefs d'État, mais aussi les seigneurs féodaux jaloux de leur
autorité.
C'est
pour cette raison qu'alors les villes s'entourèrent de murailles, et que des
châteaux‑forts furent édifiés dans les campagnes où les seigneurs assuraient
leur sécurité et affirmaient leur autorité sur les populations voisines,
heureuses éventuellement de trouver un abri à proximité, contre les exactions
des seigneurs ou des pays voisins.
C'est
bien ce qui se passa à Échauffour où les seigneurs du lieu, à partir du XIe
siècle construisirent un château‑fort, l'entretinrent et l'améliorèrent
jusqu'à la fin du XVIe siècle tant qu'il conserva une valeur
militaire. Aussi, pendant toute cette période, l'histoire d'Échauffour est‑elle
plus étroitement liée à celle de son château et à celle des seigneurs qui y
résidaient.
Vers l'an
mil, le Duc de Normandie Richard II (966‑1027) attribua la seigneurie
d'Échauffour à un valeureux guerrier du nom d'Helgon. Cette seigneurie
comprenait de vastes domaines s'étendant sur 14 paroisses et jusqu'à Montreuil‑l'Argillé.
Elle mettait ainsi de gros moyens à la disposition de son titulaire qui reçut
du Duc la mission de défendre les frontières du duché. C'est pour remplir cette
mission qu'à l'origine fut entreprise la construction d'un château‑fort
répondant aux conceptions militaires de l'époque.
3. Les
Giroie (XIe – XIIIe siècles)
Pour
l'aider dans sa mission, Helgon distingua un autre vaillant chevalier issu d'une
famille bretonne, nommé Guillaume Giroie, et lui offrit sa fille en mariage. La
valeur de ce dernier lui parut telle que, bien qu'il eût deux fils, c'est à sa
fille qu'il donna en dot ses fortes seigneuries d'Echauffour et de Montreuil‑l'Argillé.
Mais
Helgon et sa fille moururent avant que le mariage n'ait pu avoir lieu.
Guillaume Giroie n'en resta pas moins en possession de ces seigneuries et il
épousa par la suite Gislette de Bastemberg de Montfortsur‑Risle, dont il
eut sept fils et quatre filles. Il déploya tout de suite une grande activité
pour faire d'Échauffour une place importante et pour augmenter son rayonnement
dans le pays. Comme il était très pieux, il fit construire sur ses biens une
église à Echauffour qu'il dédia à l'apôtre saint André. Cette église, fortement
remaniée au cours des âges, est encore de nos jours placée sous le vocable de
saint André.
Parmi les
enfants de ‑Guillaume Giroie, quatre filles s'allièrent à des seigneurs
distingués de la région, mais ses sept fils périrent dramatiquement :
- Ernault, l'aîné, mourut
accidentellement en luttant avec un jeune homme de Montreuil‑l'Argillé.
- Guillaume, le second, succéda à
son père à Échauffour, mais après une vie aventureuse, mourut en Italie en
1056.
- Foulque, le troisième, fût assassiné
par son frère Robert.
- Robert, le quatrième, seigneur
de Saint‑Céneri, périt empoisonné par sa femme.
Raoul, le cinquième, dit
"Male couronné", était fort curieux d'art médical. Il devint moine de
Saint‑Évroult et "obtint à force de prière la maladie de la
lèpre".
- Hugues, le sixième, fut tué
accidentellement par un de ses écuyers alors qu'il s'exerçait au tir à l'arc à
proximité du château sur l'emplacement actuel du hameau de Saint‑Germain
d'Échauffour. Avant de mourir, Hugues ordonna à son meurtrier involontaire de
s'enfuir afin qu'il ne soit pas arrêté et puni. Plus tard, les siens firent
construire l'église de Saint‑Germain d'Échauffour, en expiation et à la
mémoire du disparu.
- Le dernier Giroie, le septième,
mourut fou après une expédition sacrilège sur les terres de l'évêque de
Lisieux.
Guillaume
II Giroie qui succéda à son père à Échauffour était né en 1021. Il épousa
Hiltrude de Beine, fille du seigneur qui à la même époque bâtissait le château
voisin de L'Aigle (6). De ce mariage naquit un fils, Ernault, mais,
devenu veuf, Guillaume épousa en seconde noces Emma du Tanney, fille de
Vauquelin du Tanney, en Cisai, qui lui donna un second fils prénommé également
Guillaume. Guillaume II Giroie semble avoir été un seigneur ardent, remuant et
aventurier. Etant également seigneur de Saint‑Céneri, il accepta à ce
titre de rendre hommage et service militaire à Geoffroy de Mayenne et, de ce
fait, il se trouva bientôt en antagonisme et même en lutte avec le Duc de
Normandie dont ses voisins Talvas de Bellème et leur gendre Montgommery
étaient de fermes soutiens dans la région. En 1044, il se réconcilia avec
Talvas de Bellème qui le convia même à ses noces à Alençon. Mais, après boire,
Guillaume Giroie aurait tenu de tels propos que Talvas le fit saisir, le fit
émasculer et essoriller! Secouru par son frère Raoul, il se remit de ses
blessures et laissant son fils Ernault à Echauffour et son frère Robert à Saint‑Céneri,
il partit pour l'Italie (7). Il en revint en 1047 pour se faire moine à
l'abbaye du Bec. Puis ayant donné par une charte à Richard, abbé de Saint‑Évroult,
"les églises de Saint‑André d'Échauffour avec les quatre chapelles
de Notre‑Dame, de Saint‑Laurent, de Saint‑Martin, de Saint‑Germain
et des dîmes qui en dépendaient, plus la dîme de toute la prévôté et 20 sous
monnaie courante, la dîme de toute la forêt, etc...". Il donna également à
Herlin, les ruines de l'abbaye de Saint‑Evroult; il la rebâtit de ses
deniers et s'y retira comme simple religieux, mais demanda par la suite à son
Père Abbé de retourner en Italie où il devint porte‑étendard de Saint
Pierre et mourut en 1056.
Ernault,
le fils de Guillaume II Giroie, que son père avait installé à Échauffour en
1047, paraît avoir été aussi ardent, aussi remuant et aussi aventurier que son
père. Il épousa ses inimitiés et ses rancunes et reprit les intrigues et la
lutte sournoise que menait son père contre le nouveau Duc de Normandie
Guillaume le Bâtard et contre son lieutenant Montgommery, l'époux de Mabile de
Bellême. Cette lutte prit un caractère violent en 1059, mais Ernault fut
défait; son domaine d'Échauffour lui fut confisqué et attribué aux Montgommery.
Il se
réfugia alors à Courville‑en‑Beauce, chez des cousins d'où il
lançait sur la région d'Echauffour des expéditions dévastatrices et inopinées.
Une nuit, il arrive à Echauffour, au pied de son ancien château dont il connaît
bien les‑ alentours et les petites entrées et, accompagné de quatre
cavaliers, ils poussent de telles clameurs que les soixante défenseurs du
château, se croyant assiégés par des forces importantes, jugent plus prudent de
se retirer. Une autre fois, poussant jusqu'à Saint‑Évroult, il met le feu
au bourg et pénétrant dans le couvent il veut tuer le Père Prieur. Mais
rencontrant sur son chemin le cellerier (8), celui-ci réussit à l'attendrir, lui faisant
remarquer que son père avait relevé cette maison de prières pour le salut de
son âme, Ernault, tout contrit et bon diable dans le fond revint à de meilleurs
sentiments et déposa une offrande en expiation sur l'autel de Saint‑Evroult.
Pris de
remords, il partit ensuite pour l'Italie et revint en 1067 chargé de grandes
richesses. Il sollicita alors une audience au Dur, Guillaume à qui il demanda
la restitution de son domaine d'Echauffour et lui offrit un manteau précieux en
gage de repentir. Le Duc acquiesça. Revenant alors en Beauce, Ernault passa par
Echauffour alors tenu par les Montgommery. Il fut accueilli par Mabile, la
femme de Roger de Montgommery, qui lui fit servir des rafraîchissements ainsi
qu'à ses compagnons. Prévenu à temps, Ernault déclina l'offre, mais son compagnon
Albert de Montgominery, frère de Roger, accepta; il en mourut empoisonné quatre
jours plus tard à Rémalard!
Mais
Mabile l'empoisonneuse n'en resta pas là. Craignant d'être obligée de
restituer Échauffour aux Giroie, elle soudoya, Roger Goulafre de la Goulafrière
(9) qui était le maître d'hôtel d'Ernault et celui‑ci
fit boire à son patron un breuvage mortel.
Ernault
qui était encore à ce moment‑là exilé en Beauce chez des cousins "dans
la maison d'autrui et ne pouvant prendre soin de sa santé", nous dit
Ordéric Vital, endura de longues et pénibles souffrances avant de mourir après
avoir revêtu le jour même l'habit monacal de Saint‑Evroult.
Ernault
avait épousé Emma, fille de Turstin Halduc, dont il eut deux fils. L'aîné,
Guillaume, devint écuyer du roi de France Philippe I, puis gagna l'Italie où il
devint un grand seigneur. Le cadet, Raynald, devint moine de Saint‑Évroult
et fut un brillant professeur de littérature et de musique.
Les
Montgommery restèrent à Échauffour jusqu'en 1118, mais cette année‑là le château
fut assiégé et incendié par les Manceaux conduits par Robert II, fils de Robert
de Saint‑Céneri et petit-fils de Guillaume II Giroie qui revendiquait son
domaine familial. La paix revenue, le roi de France, Henri Ier fit
rendre Echauffour en 1119 à Robert Giroie qui avait épousé Adélaïde, cousine du
Duc Guillaume le Conquérant.
Robert II
Giroie mourut en 1124, et son fils Robert Ill lui succéda. Ce dernier semble
avoir toujours respecté le lien féodal qui l'unissait à son cousin le roi Henri
Ier, et mit à la disposition de celui-ci son château et ses forces.
C'est ainsi qu'en 1138 il permit à Simon Le Roux d'utiliser son château
d'Échauffour comme base de départ pour mener une expédition de représailles
dans le duché d'Evreux, sur les terres de Robert de Leicester, ennemi de Henri
Ier.
Après
Robert III Giroie, Échauffour passa à son frère puiné Guillaume qui le transmit
ensuite en héritage à son fils Gervais. Ce dernier vivait encore en 1219 mais
mourut peu après et sa veuve, remariée à Guy de Lucy, renonça en 1228, en
faveur des religieux de Saint‑Évroult, à tout ce qu'elle pouvait
prétendre sur les bois d'Échauffour.
Échauffour
revint ensuite à Jean de Saint‑Céneri. dont on sait peu de chose sinon
que sa fille Agnès était en 1290 l'épouse de Robert de Thibouville. Le domaine
d'Echauffour comprenait alors une grande étendue de l'actuelle forêt de Saint‑Evroult
dont l'exploitation par les moines devait donner lieu à bien des différents
entre les propriétaires et les exploitants, si on en juge par une sentence
rendue en 1293 par le Vicomte de Pont‑Audemer, sur plainte de Jean,
seigneur de SaintCéneri, et de Robert. de Thibouville, son gendre, "notamment
sur ce que le feu de la fosse charbonnière, les dits religieux par la mégarde
d'eux ou de leurs gens, avaient fait dommage aux bois dudit Jean et sur ce que
les dits religieux contrevenants à tort aux droits forestiers de la forêt
d'Échauffour, par laquelle ceux‑ci sont moniteurs dans leur droiture,
mais condamnés à prêter serment de féauté aux religieux qui sont maintenus dans
la possession de ce qu'ils avaient acquis dans les fiefs d'Échauffour et de
Montreuil, à la charge de payer 150 livres "à Jean de Saint‑Céneri
et à Robert de Thibouville".
Il semble
bien que pendant tout le Moyen Age l'importance de la forteresse d'Echauffour
assurant une sécurité relative à ses habitants ait permis un bon développement
économique de la localité, malgré les querelles et les luttes entre les grands
féodaux de l'époque. Ce qui est certain, c'est qu'en 1271 Echauffour reçut le
titre de ville et ses habitants turent qualifiés de "bourgeois". En
1308, ils désignèrent deux représentants aux États Généraux dont les noms sont
parvenus jusqu'à nous : Jouen Desart et Ginfray Roussel.
Cette
suprématie d'Échauffour sur toutes les paroisses avoisinantes durera jusqu'au
XIXe siècle, et à cette époque Échauffour était encore la commune la
plus habitée du canton.
4. Les
Harcourt (XIVe siècle ‑ début du XVIe)
On ignore
dans quelles conditions Jean de Saint‑Céneri et son gendre Robert de
Thibouville quittèrent Échauffour dans les dernières années du XIII, siècle,
mais on sait qu'en 1301 la seigneurie d'Echauffour appartenait à Robert II
d'Harcourt, seigneur de Beaumesnil, et que cette année, là il donnait avec sa
femme Anne de Villequier confirmation de tout ce qu'ils possédaient dans les
fiefs d'Échauffour et de Montreuil.
En ce
début du XIVe siècle, le château d'Échauffour était devenu un
château important et son seigneur jouait un rôle très en vue en Normandie;
c'est pourquoi il avait été érigé en Baronnie et son seigneur, Robert II
d'Harcourt, tenait séance à l'échiquier de Normandie. Il portait sur son écu : de
gueules à deux fasces d'or (armes des d'Harcourt).
Depuis le
milieu du XIVe siècle jusqu'au milieu du XVe eut lieu la
guerre de Cent ans qui fut une longue lutte entre les troupes fidèles au roi de
France et celles du roi d'Angleterre auxquelles s'était allié Charles le
Mauvais, Roi de Navarre. Dès le début, les Anglais avaient occupé le Duché de
Normandie et tenaient le pays, appuyés sur les châteaux‑forts parmi
lesquels celui d'Echauffour n'était pas des moindres. La guerre faisait rage
entre les deux partis et de 1356 à 1364 le château d'Échauffour fut pris, perdu
et repris à plusieurs reprises.
Une pièce
du chartrier de Saint‑Evroult mentionne qu'un officier anglais de la
place d'Échauffour du nom de Jacques Féron donna le 17 janvier 1364 quittance à
Jean de Beaumont de la somme de 60 francs d'or "et de trois pourpoints
de camocas (tissu du genre drap en soie) au prix de quarante-deux louis d'or
lesquels pourpoings et la dicte somme d'or, le dit Beaumont devait a à dit
Anglais pour Monsieur Robert Perez, chevalier, comme le dit Beaumont disait et
le dit Englays. Et avecque ce le dit Englays congnut et confessa avoir eu et
reçu du dit Beaumont 10 francs d'or et une selle pour le dédommager du deffaut
de paiement des dites choses non païées au dit Englays au terme ou le dit
Beaumont au nom du dit chevalier luy avait promis de païer".
Deux
jours plus tard, Pierre de Cointrel, Vicomte du Perche, autorisait Jean de
Beaumont à faire vendre l'héritage de Pérez pour se rembourser de ce qu'il
avait versé à Féron.
La Chronique Normande du XIVe
siècle mentionne que vers le milieu de 1364 le Sire de la Ferté, Maréchal de
Normandie, accompagné du Sire de Tournebut et de Guillaume du Merle, vinrent
mettre le siège devant Échauffour. Bertrand du Guesclin, accourant de Valognes,
vint leur prêter main forte et, après un siège de 42 jours, "fut la
forteresse rendue par si que ceulx de dedans s'en alèrent, sauves leurs vie et
biens".
La
chronique des quatre premiers Valois relate ce siège de la place forte
d'Échauffour en 1364 en ces termes :
"Plusieurs
Barons de Normandie, c'est à sçavoir Guillaume du Merle, etc…, allèrent mettre
le siège devant Échauffour, le plus fort chastel que les Anglais avaient en
Normandie ny en France, hors les chasteaux roïaulx que tenait en Normandie le
roi de Navarre. Cestuy fort d'Echauffour ne pouvait être pris par assault. Et
pour Monseigneur du Merle Guillaume qui moult était sage homme d'armes fit et
establit une myne et fit venir mineurs du païs de La Ferté et de L'Aigle. Lors
commencèrent fort à miner. Les Anglais aperçurent la myne et firent
contreminer. Et advint aussi que les deux mynes s'encontrèrent. Les Anglais et
les Normans, comme les mynes furent ouvertes, eurent bien souvent de dures
batailles et donc par le conseil du dit Monseigneur du Merle on refit une
contre myne. Alors avait ung Englais à Echauffour qui avait esté clerc et
escollier, lequel avait nom Hoclequin Lucas. Cestui Anglais fit traicté aux
Normans qu'il se rendait à eux, et leur rendit le fort d'Échauffour ".
Le
souvenir du passage de du Guesclin venant faire ce siège est resté très vivace
à Échauffour. En effet, une maison du vieil Echauffour, proche du château,
datant du XIVe siècle, qui fut une belle maison, malheureusement
aujourd'hui très détériorée, est encore appelée "la Maison de Du
Guesclin".
Echauffour
ainsi libéré des Anglais, les Harcourt purent recouvrer leur baronnie et, en
1396, Robert d'Harcourt était en mesure de jouir de toutes ses prérogatives de
Seigneur d'Échauffour.
Mais, au
début du XVe, siècle, les combats entre les troupes fidèles au Roi
de France et celles fidèles au Roi d'Angleterre reprirent avec plus de
violence. Robert d'Harcourt répondant à l'appel de son suzerain, le Roi de
France, partit mettre ses forces à la disposition de ce dernier.
Malheureusement, le désastre d'Azincourt, en 1415, où Robert d'Harcourt fut
tué, permit aux Anglais d'occuper toute la Normandie et la place forte
d'Échauffour retomba une fois de plus entre leurs mains.
En 1417,
le Roi d'Angleterre attribuait le domaine d'Échauffour à un fameux chevalier du
nom de Glasdal, puis peu après, le 12 avril de cette même année, il le
concédait à ‑ John Green, "à la suite de la confiscation sur Robert
d'Harcourt expatrié et décédé". Mais le 26 avril suivant, le Roi
attribuait à nouveau Échauffour à John Newton. Mais l'enregistrement des
lettres patentes d'attribution à John Green ayant été établi, celui-ci
considéra que John Newton lui devait une indemnité. Le Roi attribua alors à ce
dernier la somme de 200 saluts d'or pour obtenir son entier désistement.
A cette
époque, le Roi d'Angleterre entendait affirmer sa domination sur tout notre
pays et, en 1420, le désastreux traité de Troyes soulignait l'effondrement de
l'autorité du Roi de France. Malgré tout, en Normandie, ses partisans tentèrent
d'intervenir, mais ils furent écrasés à Verneuil, en 1424.
Le pays
était alors soumis à l'occupation des troupes anglaises et déjà, à ce moment,
dans les campagnes, cette occupation était mal supportée. C'est une des raisons
du sursaut de patriotisme de cette époque dont Jeanne d'Arc fut l'héroïne. A
Échauffour même les paysans ne restèrent pas inactifs et au printemps de 1424
ils livraient combat à Planches à une troupe anglaise. Ils n'eurent pas le
dessus et durent se retirer avec des pertes en tués et en prisonniers. Ils
tombèrent peu après entre les mains des Anglais, de la garnison de L'Aigle.
Ceux-ci, poussant jusqu'à Échauffour, pillèrent la localité et emmenèrent prisonnier
le curé, l'abbé Thibault Le Prévost. Ce dernier ne fut libéré qu'en février
1425 sur intervention du Roi de France.
5. Les Le
Gris (XVIe‑XVIIe siècles)
L'occupation
anglaise d'Échauffour se prolongea jusqu'en 1449 et après leur défaite en 1453
à Castillon, près de Bordeaux, les Anglais se retirèrent de France, n'y
conservant que Calais.
Lorsque
la Seigneurie d'Échauffour fut enfin libérée, elle se trouva sans titulaire car
Robert d'Harcourt, baron d'Échauffour, avait été tué à Azincourt, en 1415, sans
être marié et sans laisser d'héritier.
Aussi,
par lettre patente du 5 juillet 1461, le Roi de France Charles VII attribuait, la
seigneurie d'Echauffour à un preux chevalier, Jean Le Gris, dont l'écu portait
: de gueules à la face d'or (10).
Par ces
lettres patentes, le Roi accordait "le bénéfice du relief d'appel à
Jean Le Gris, écuyer baron d'Échauffour, sur clameur intentée par le Duc
d'Harcourt à Hue de Veufville, chevalier, son héritier, mort à Azincourt, au
temps duquel trépas, le dit suppliant était âgé de huit ans environ, et pour ce
que Pierre Le Gris en son vivant chevalier et père du dit suppliant incontinent
et assez tost après la desserte de mes dizs ennemis, se parti du dit païs de
Normandie et abandonna tous ses biens avec le dit suppliant se « parti et
demeure toujours en notre obéissance où il nous a toujours servi en nos guerres
comme notre vray et loyal sujet.
Le dit Pierre Le Gris trépassa semblablement
depuis à la bataille de Verneuil. Et à cette cause que le dit suppliant qui
tout à l'occasion « de ce qu'il a esté mineur d'ans et que le dit pais
d'Echauffour par le fait des guerres a été longtemps inhabité".
En 1456,
Jean Le Gris avait fait une transaction avec les moines de l'abbaye de Saint‑Évroult
au sujet de la gestion de ses domaines.
Un aveu
rendu en 1491 au Duc d'Alençon nous renseigne sur la grande importance de l'autorité
du Baron d'Echauffour à la fin du XVe siècle. Ses domaines
s'étendaient alors sur Reugon, Le Sap‑André, SaintNicolas‑des‑Lettiers,
Monnay, Planches, Saint‑Pierre‑des‑Loges, etc… et bien sûr
aussi sur Saint‑Germain et Saint‑André d'Échauffour. Tous ces
domaines donnaient lieu à redevances payables le jour de la Saint‑Jean Baptiste.
Les domaines où il y avait château, manoir, haut‑fourneau, prévôté,
moyenne et basse justice étaient astreints à une rente de 33 livres 6 sols 8
deniers envers le Duc d'Alençon.
Pendant
tout le XVIe siècle, les Le Gris se succédèrent à la tête de la
Baronnie d'Echauffour. A Jacques Le Gris succéda son fils Pierre qui épousa en
1545 Jeanne de Thieuville, Dame de Tallevart Sainte Croix et Montfiquet, puis
la baronnie revint à Félix Le Gris qui n'eut pas de descendant mâle, mais une
fille, Adrienne, qui fut l'héritière d'Échauffour.
En 1585,
se formait la ligue qui sous l'autorité du Duc de Guise groupant les
catholiques intransigeants s'opposant aux protestants dont l'animateur était
Henri de Navarre, le futur Henri IV. Il y eut alors une véritable guerre de
religion qui eut ses répercussions en Normandie.
En
particulier, le Baron d'Echauffour avait épousé la cause de la ligue et eut de
ce fait son château assiégé à plusieurs reprises (11).
De plus,
les paysans de la région, excédés par les pillages et les destructions des gens
de guerre, se soulevèrent pour défendre leurs libertés et ce fut alors une
véritable Jacquerie. Finalement, après la bataille d'Ivry (14 mars 1590), la
ligue fut définitivement vaincue par Henri IV, et Félix Le Gris, Baron
d'Échauffour, dut se soumettre au Roi de France. Désormais, le château
d'Echauffour ne devait plus jouer aucun rôle dans une opération militaire.
Le 21
novembre 1585, Adrienne Le Gris qui était la fille unique de Félix Le Gris et
héritière d'Echauffour épousait Gaspard Érard, seigneur de Cisai (12). Un ancêtre était venu en 987 avec une armée de
Danois au secours de Richard I, Duc de Normandie, puis au XVe siècle
cette famille s'était établie en Lorraine, dans le Barrois, dans l'Est de la
France (région de Bar‑le‑Duc). Un aïeul de Gaspard Érard avait été
mis page chez un prince voisin mais, querelleur, il s'était disputé avec un
autre page et l'avait tué. S'étant alors enfui, il s'était réfugié à Alençon où
il s'était marié, avait fait ainsi souche en Normandie d'une autre branche de
sa famille.
Ce
Gaspard, qui devint Baron d'Échauffour après la mort de son beau-père Félix Le
Gris, semble avoir été un seigneur batailleur, turbulent et souvent pillard. En
août 1604, il aurait tué en duel son cousin et voisin Robert Le Conte, seigneur
de Poment et de Saint‑Aubin. Après 1610, Henri IV ayant été assassiné par
Ravaillac, le pouvoir central devint précaire entre les mains de la régente,
Marie de Médicis, et c'est alors que Gaspard Érard se distingua par des actes
de brigandage contre les seigneurs voisins et aussi contre les populations.
Mais lorsque
Richelieu devint premier ministre en 1624, il s'employa à mettre bon ordre à
toutes ces exactions. Il châtia les seigneurs et ordonna la destruction des
forteresses qui leur servaient de repaire. Une tradition veut que Gaspard Érard
ait été décapité par arrêt de justice. Quant à la forteresse d'Échauffour, une
ordonnance royale de juillet 1626 en prescrit le démantèlement.
C'est
vraisemblablement le fils de Gaspard Érard qui s'appelait également Gaspard qui
obtint lors de la démolition de la forteresse de conserver une tour qui fut
écrêtée et les murs qui forment le château actuel. Pour en faire disparaître le
caractère militaire, il fit percer de grandes fenêtres (13) à espacements réguliers sur les façades et les
pignons. Du reste, de la forteresse, il ne subsiste plus aujourd'hui que des
éléments de fossés et de nombreux et importants affleurements de fondations qui
soulignent encore toute l'importance de l'ensemble.
Ce
deuxième Gaspard fut un personnage plus soucieux que son père de ses devoirs et
de ses responsabilités. Non seulement, il s'appliqua à relever et à conserver
ce qui était possible de l'ancien château qui formait un véritable centre de la
région depuis ‑six cents ans mais désireux de conserver le prestige et
les traditions des anciens seigneurs d'Échauffour, il sollicita, ainsi que sa
mère le lui avait demandé par testament, de joindre à son nom d'Érard le nom de
Le Gris que portait mère dont les ancêtres s'étaient distingués depuis deux
siècles à Échauffour. Le Roi de France lui donna satisfaction et par lettres
patentes datées de 1645 il était autorisé à unir les noms d'Érard et Le Gris
dans sa personne et celles de ses descendants.
En outre,
ce Gaspard Érard‑Le Gris sut si bien se faire remarquer du pouvoir royal,
et aussi donner de l'importance et du rayonnement à. sa Seigneurie, qu'en 1648 ‑de
nouvelles lettres patentes érigeaient en Marquisat les Baronnies de Montreuil
et d'Échauffour qui relevaient en plein fief du Duché d'Alençon et qui depuis
plus de six cents ans avaient été décorées de ce titre de Baronnie.
Gaspard
Érard Le Gris avait épousé en 1628 Louise du Merle, fille de Jean du Merle,
seigneur de Blancbuisson, et de Jeanne d'Orbec. Devenu veuf en 1674, il épousa
en secondes noces, en 1680, Marie Le Prévost, veuve de Pomponne du Buat,
seigneur de Reville, dont elle avait eu 9 enfants (14).
De son
premier mariage, il eut un fils qu'il prénomma encore Gaspard, ce dernier
épousa en 1680, Anne Dorothée du Buat, fille de Pomponne du Buat et de Marie Le
Prévost, la seconde femme de son père.
Ce
dernier, Gaspard Érard Le Gris, mourut en 1684, avant son père, laissant après
lui une fille unique, Anne Dorothée. Il serait celui dont la pierre tombale se
trouve dans l'église Saint‑André d'Échauffour et qui porte écrit : "Ci
gît Messire Érard Le Gris, chevalier, seigneur, comte de Cizay, âgé de 29, fils
de haut et puissant seigneur Érard Le Gris, chevalier, seigneur, marquis de
Montreuil, Échauffour et autres lieux".
7. Les
Roncherolles de Pont‑Saint‑Pierre (XVIII siècle)
Anne
Dorothée Érard Le Gris épousa le 17 août 1706 Michel de Roncherolles, marquis
de Pont‑Saint‑Pierre (1669‑1754), fils de Charles et
Catherine Le Veneur de Tillières, premier baron de Normandie, conseiller
d'honneur au parlement de Normandie, comte de Gacé, baron d'Écouis, du Plessis
et Marigny. Son écu portait d'argent à 2 fasces de gueules.
Il semble
bien que ce Michel de Roncherolles de Pont‑Saint‑Pierre, qui
jouissait d'une situation très importante en Normandie et qui disposait déjà
pour lui d'autres grandes demeures, ait porté peu d'intérêt au château
d'Échauffour dont le lustre ancien avait été quelque peu terni Par les
démolitions du siècle 'précédent.
Ce
dernier eut au moins deux fils qui, ayant des situations importantes ailleurs
et disposant aussi d'autres seigneuries, ne
portèrent pas plus d'intérêt que leur père à leur domaine d'Échauffour.
Aussi, en
1740, ils mirent en vente leurs seigneuries d'Échauffour et de Montreuil ainsi
que tous les domaines qui en dépendaient.
Si en ce
milieu du XVIIIe siècle, le rayonnement du château d'Echauffour
était quelque peu terni, les habitants de la localité avaient cependant encore conscience
d'habiter une cité florissante qui leur avait valu quelques siècles auparavant
d'être qualifiés de "bourgeois". Un petit fait permet de souligner
cet état d'esprit.
En 1738,
les autorités régionales demandèrent aux habitants d'Echauffour les corvées
nécessaires pour l'exécution et l'entretien des routes comme il était d'usage à
l'époque. Ceux-ci refusèrent comme indigne d'eux l'exécution de telles
"corvées". Ils s'attirèrent alors une sanction qui était usuelle en
pareil cas et qui consistait en l'établissement d'une "garnison" de
soldats à la charge des habitants.
Cette
garnison ne fut que provisoire car pour y échapper on trouva vite à Échauffour
les 180 hommes demandés pour faire les travaux de route !…
8. Les
Montreuil et les Sade (1740‑1844)
Les
seigneuries d'Échauffour et de Montreuil, mises en vente en 1740, furent
achetées par Claude René Cordier de Launay, qui prit par la. suite le titre de
marquis de Montreuil. Il était d'une famille de noblesse de robe dont l'écu
portait d'azur au chevron d'or accompagne de trois croissants d'argent.
Il tenait lui-même une situation importante à Paris où il était magistrat et
devint président de la cour des Aides au Parlement de Paris en 1743. Il avait
épousé Marie‑Madeleine Masson de Plissay qui était une femme dynamique,
tenant son rang avec distinction.
Elle fut
jusqu'à sa mort, en 1798, la grande dame d'Échauffour et avait su se concilier
l'affection et l'attachement des habitants, ce qui lui permit, malgré son rang,
de ne pas être inquiétée sur place pendant les années agitées de la Révolution
de 1789.
La fille
aînée du marquis de Montreuil, Renée Pélagie, épousa en 1763 Donatien François
de Sade, capitaine de cavalerie, qui devait devenir le trop célèbre marquis‑
de Sade. Les écarts de conduite de ce dernier déplaisaient souverainement à son
énergique belle-mère qui ne manquait aucune occasion de le rappeler à l'ordre
et qui usait, le cas échéant, de ses hautes relations pour le faire
sanctionner. Il ne vint à Échauffour qu'au moment de son mariage et une seconde
fois, en 1764, mais par la suite il se garda bien d'y reparaître.
Séparé de
corps de sa femme en 1790, il ne sera plus question de lui à Echauffour. Il
mourra en 1814 à l'asile de Charenton où Napoléon l'avait fait interner.
Madame de
Sade eut trois enfants, l'aîné, Louis Marie, né en 1767, fut le soutien de sa
mère pendant les heures difficiles de la Révolution. Il fut officier dans les
armées de Napoléon et périt en 1808, assassiné par des bandits sur la route en
allant rejoindre son unité en Italie.
Madame de
Sade mourut en 1810 et fut inhumée à Échauffour, sa fille Madeleine Laure qui
ne se maria pas habita après elle le ‑château où elle mourut en 1844 et
fut enterrée auprès de sa mère.
Après le
décès de Madeleine Laure de Sade, le château d'Echauffour passa à sa nièce
Laure de Sade qui avait épousé le baron de Mesnildurand. Ceux-ci retenus sur
leur terre de Mesnil‑Durand, près de Lisieux, n'y habitèrent pratiquement
pas. Après eux, le château passa à leur petite-fille Magdeleine de Mesnildurand
qui avait épousé Emmanuel de Gibert en 1898. Elle-même y mourut le 21 septembre
1956, léguant sa propriété au général Pierre de Lesquen qui l'habite
aujourd'hui.
Les Sade
furent à de nombreuses reprises les bienfaiteurs de l'église Saint‑André
d'Échauffour, aussi leurs armoiries figurent‑elles en plusieurs endroits
des murs et des vitraux.
L'ABBE
LAFOSSE
A la fin
du XVIIIème siècle, lorsque la Révolution éclate, Échauffour est
encore, et même d'assez loin, la plus grosse commune du canton. Bien sûr, les
idées nouvelles ont leurs répercussions dans la population et un clan
"révolutionnaire" veut s'aligner sur l'ordre nouveau venu de Paris.
Mais il ne semble pas qu'il se soit produit de graves excès contre les
personnes et même les "ci‑devant" de la famille de Montreuil ne
furent pas maltraités. Le bon sens normand avait tempéré les excités venus de
Paris!
Il semble
par contre que les tenants des idées nouvelles s'en soient pris spécialement à
tout ce qui concernait la religion : le presbytère fut vendu, l'église Saint‑André
transformée en salpêtrière et en abattoir et le "curé légitime"
chassé de la paroisse. A sa place est placé un "curé
constitutionnel", l'abbé Fleury, ordonné à 19 ans par l'évêque
constitutionnel de Sées. Il échauffe fortement les esprits. Cependant, malgré
son zèle pour les idées nouvelles, il ne tarda pas à se brouiller avec les
autorités civiles aussi bien de la commune que de la sous préfecture et après
diverses péripéties il dut se retirer dans sa commune natale : Saint‑Evroult‑Notre‑Dame‑du‑Bois.
C'est
dans cette ambiance troublée et agitée qu'en 1803, alors que le nouveau Régime
Impérial remet un peu dordre dans la Nation, que l'évêque de Sées désigne un
nouveau curé pour la paroisse SaintAndré d'Échauffour. Il se nomme l'abbé
Lafosse. C'était un très saint prêtre qui dans le désarroi des premières années
de la Révolution avait cru pouvoir prêter serment à la Constitution Civile du
Clergé. Par la suite il s'était rétracté, il avait été arrêté et emprisonné et
enfin libéré. Il brûlait de se dépenser pour sa foi.
Son
installation à Échauffour ne put se faire qu'au prix de mille difficultés (15). En premier lieu, en effet, les esprits étaient
encore profondément désorientés par 15 ans de grande agitation et de bouleversements
sociaux, aussi en résultait‑il une grande méfiance à l'égard du nouveau
venu et une opposition ouverte de la part du maire et de la municipalité. En
second lieu, matériellement, la paroisse était en ruines, l'église avait servi
de dépôt de salpêtre et d'abattoir et se trouvait totalement vidée de tout ce
qui pouvait servir au culte; de plus il n'y avait plus de presbytère.
Spirituellement, la paroisse était ‑délabrée, le dernier curé d'avant la
Révolution ne faisait pas d'instruction et le curé constitutionnel qui lui
avait succédé n'en faisait pas davantage.
C'est
cette situation qu'à force de dévouement et d'abnégation l'abbé Lafosse saura
entièrement retourner. Malgré les mille difficultés rencontrées, spécialement
de la part des autorités civiles, à sa mort, en 1839, l'église sera
convenablement remise en état et remeublée, un presbytère décent sera installé
et surtout l'immense majorité de la population aura retrouvé le chemin de
l'Eglise.
Mais la
grande œuvre de l'abbé Lafosse, celle à laquelle son nom reste attaché bien au‑delà
d'Échauffour, est celle de l'éducation et de l'instruction des jeunes filles.
Frappé par le vide en cette matière dans sa paroisse, il saura grouper autour
de lui des femmes ardentes et dévouées pour se consacrer à cette si belle
tâche. Cela correspondait à un si grand besoin à l'époque que l'œuvre prit
rapidement une grande extension et aboutit dès 1818 à la fondation d'un nouvel
ordre religieux qui prit le nom de l' "Éducation chrétienne".
Lorsque
l'abbé Lafosse meurt en 1839 à Échauffour, l'ordre comptait déjà 53
religieuses. De nos jours, il en comprend près de 500, enseignant à près de
10000 élèves tant en France qu'en Belgique, en Angleterre, en Amérique et en
Afrique.
A
l'époque où l'abbé. Lafosse était nommé à Échauffour, au début du XIX, siècle,
la commune comptait encore deux paroisses, l'une, Saint-André, de beaucoup la
plus importante (plus de 2000 âmes), et pour le service de laquelle le curé
disposait d'un vicaire; et l'autre, Saint-Germain, plus modeste (350 âmes) (fig.
5‑6). Cette dernière était desservie par l'abbé
Pierre Castel, déjà en poste avant la Révolution et qui avait prêté le serment
constitutionnel. Mais ayant reconnu son erreur, il avait été réintégré en 1804.
Il mourra en charge en 1818 et ne sera pas remplacé. Il sera le dernier curé de
Saint‑Germain.
Au début
du XIX, siècle, deux événements locaux vont marquer la commune. Le 5 février
1815, la mairie, est entièrement détruite par un incendie qui anéantit toutes
les archives si précieuses pour l'histoire d'Echauffour! Puis en 1822, malgré
l'avis des élus locaux, il est décidé d'amputer le territoire de la commune
d'une notable partie qui sera rattachée à la commune voisine de Planches. On
peut noter cependant que malgré cela Échauffour reste encore aujourd'hui une
commune très étendue : 3315 hectares.
Par la
suite et jusqu'à nos jours l'évolution économique et sociale qui a marqué la
France entière a eu ses répercussions à Échauffour. Pays presque exclusivement
agricole, sa population n'a cessé de diminuer et cette évolution a été encore
aggravée par le fait que la construction de la grande ligne de Paris à
Granville empruntant le cours supérieur de la Risle et l'aménagement de la
route nationale 24 bis suivant le même axe, détournent les courants économiques
vers les communes voisines.de Sainte‑Gauburge et du Merlerault (16).
Pourtant,
vers 1875, au moment où la France entière s'équipe d'un réseau dense de voies
ferrées, une ligne est ouverte de Sainte‑Gauburge à Mesnil‑Mauger
desservant une gare à Échauffour, puis peu après une autre ligne d'Échauffour à
Bernay dont la tête est reportée très vite à Sainte‑Gauburge. Ces lignes
fonctionnent jusqu'en 1954, époque à laquelle le développement du trafic
routier les rendait inutiles. Elles furent alors désaffectées et démontées.
Il
appartenait à un enfant d'Échauffour de redonner un certain renom à son pays
dans les dernières années du XIX' siècle. Il se nommait Paul Harel. Son père,
avocat à Vimoutiers, était venu gérer une auberge que son grand-père avait
construite à Echauffour en 1822. C'est là qu'il naquit le 18 mai 1854. Après
des études faites un peu à la diable, il se sentit une très vive vocation
poétique et littéraire. Il se fit vite remarquer et ses oeuvres connurent le
succès et lui méritèrent de flatteurs prix littéraires. Il toucha à presque
tous les genres. Ses recueils de vers sentent bon la Normandie fraîche et verdoyante,
ce sont : "Sous les pommiers", "Gousse d'ail et fleurs de
serpolet", "Rimes de broche et d'épée", "Heures
lointaines", "Aux champs", "Voix de la glèbe",
"En forêt", "Poèmes mystiques et champêtres". En prose il
écrivit des romans : "Le demi‑sang", "Madame de la
Galaisière". Mais c'est surtout dans ses recueils de souvenirs et de
nouvelles qu'apparaît sa personnalité vive et parfois truculente, ce sont :
"A l'Auberge du grand Saint‑André", "Souvenirs
d'auberge", il s'essaya même dans l'art dramatique avec
"L'herbager".
Mais
cette activité littéraire si bien remplie ne l'empêcha pas de rester fidèle non
seulement à son sol natal, mais aussi à la profession familiale. C'est en 1877,
qu'il alluma ses fourneaux à "l'Auberge du Grand Saint‑André"
où il se montra aussi brillant en gastronomie qu'en art poétique. Il sut en
effet finement accommoder ses mets et surveiller sa cave, mais il avait en
outre une manière inégalable d'accueillir, de traiter et d'honorer ses hôtes.
C'est pourquoi, non seulement toutes les notabilités du pays, mais encore de
nombreuses personnalités parisiennes, spécialement des milieux littéraires,
vinrent apprécier sa chaude et cordiale hospitalité qu'il put poursuivre
jusqu'à la veille de la guerre de 1914.
Il fut un
excellent conteur, un observateur sincère et de grande sensibilité souvent
marqué dans ses récits par son métier, tels ses "Souvenirs d'Auberge"
et "A l'Enseigne du Grand Saint‑André". Il fut aussi un chantre
inégalable de son terroir, de sa terre, de ses bois, de ses vallons, de ses
forêts.
Il était
aussi profondément croyant et sa foi éclatait souvent dans ses vers. C'est lui
qui fit élever en 1925 le magnifique calvaire qui domine le pays en un des
points les plus élevés de la commune, à la Butte blanche.
Il
s'éteignit à Echauffour le 10 mars 1927 profondément regretté par un nombre
considérable d'amis et d'admirateurs, qui tinrent à ‑venir l'ensevelir
dans sa terre d'Echauffour.
Les
débuts du XX siècle furent marqués par la grande tourmente de la guerre de 1914‑1918.
Fort heureusement, la commune fut épargnée par les hostilités et resta à
l'écart de l'invasion. Mais ses habitants répondirent très nombreux à l'appel
de la Patrie, ils ne ménagèrent ni leur bravoure ni leur vaillance au point que
48 d'entre eux tombèrent glorieusement au champ d'honneur.
Plus près
de nous, les horreurs de la guerre vinrent encore nous éprouver de 1939 à 1945.
Cette fois, non seulement 1l enfants d ' Échauffour donnèrent encore leur sang
pour la France, mais la commune ne resta pas à l'écart des hostilités. A
plusieurs reprises, et spécialement en 1944, les troupes allemandes passèrent
et cantonnèrent dans le pays, amenant avec elles toutes les servitudes qui
découlent de pareilles circonstances : menaces, hébergement, réquisition, etc.
Le 13
juin 1944, l'aviation alliée déversait 53 bombes sur la commune. Il semble que
la futaie du château ait été visée ; elle avait en effet abrité d'importantes
unités motorisées allemandes peu de temps auparavant. Fort heureusement,
presque toutes les bombes tombèrent en plein champ, les dégâts furent minimes
et il n'y eut aucune victime.
Enfin, le
12 août 1944, sonnait l'heure tant attendue de la libération. Des forces
anglaises venant de Gacé et des forces américaines venant du Merlerault faisaient
leur jonction à Échauffour sans que la localité ait été bombardée.
Malheureusement, en guidant l'avance des alliés, Jean Saillard était tué par
l'explosion d'une mine.
Aujourd'hui
la vocation d'Echauffour est encore essentiellement agricole, mais l'esprit
d'entreprise et le dynamisme de ses habitants ont permis d'y ajouter des
activités industrielles et commerciales prospères qui contribuent également à
la vie économique du pays.
Mais le
site lui-même, si plein du charme qu'a si bien chanté Paul Harel, à la limite
du pays d'Auge, du pays d'Ouche et du Perche, si agréablement bocagé et
vallonné, près de la forêt de Saint‑Évroult, attire les gens des villes à
la recherche de lieux calmes et séduisants pour y établir leurs résidences
secondaires.
Ainsi,
malgré l'urbanisation galopante de notre siècle, il est permis d'espérer qu'
Echauffour, conscient de son charme et fier de son passé, saura continuer à
tenir dans la région la place qu'elle occupe depuis si longtemps.
Général
P. DE LESQUEN
NOTES
1)
X. Rousseau, Dict. du Pays d'Argentan, s.v. « Échauffour », III, p. 30‑31.
2)
Trad. de Louis Dubois, dans la Coll. des Mémoires relatifs à l'Hist. de
France, par M. Guizot, 1826. O.
Vital, Hist. de Normandie, 111, p. 60‑61. Texte et
traduction repris par P. Bonet, Bull. de l'Ass. des Professeurs de
langues anciennes de l'Académie de Caen, il, avr. 1979, p. 12‑16‑
3)
Nom aujourd'hui inconnu. Sur les noms de lieu en ‑erie, Le Pays
d'Argentelles, III, 1, juil. 1978, p. 21. C; c'est le plus ancien nom de ce
type que nous connaissions. Bercot, nom de personne.
4)
A. Longnon, Les noms de lieu de la France, p. 561, § 2595; A. Dauzat et
C. Rostaing, Dict. des noms de lieux de France, s.v.
5)
Inst. nat. de la Statistique, Rouen, Lieux‑dits.du dép. de l'Orne,
2, p. 40.
6)
Au Pays d'Argentelles, 11, 4, avr. 1978, p, 103‑106.
7)
Il n'est pas inutile de noter ici qu'à cette époque des seigneurs normands très
aventureux avaient colonisé le Sud de l'Italie et fondé le Royaume Normand des
deux Siciles; ce qui explique les allées et venues fréquentes des seigneurs
Normands en Italie.
8)
Le cellerier était chargé de l'approvisionnement et de l'intendance d'un
monastère.
9)
Sur la formation des noms de lieu en ‑ière, Au Pays d'Argentelles,
111, 1, juil. 1978, P. 21.
10)
C'est l'écu de la branche d'Échauffour qui figure sur les armes actuelles
d'Échauffour. Magny, Nob. de Normandie, donne aux Le Gris, sgr et baron
de Montreuil, baillage d'Alençon, d'argent à la fasce de gueules.
11)
On a trouvé dans les gazons du château actuel des boulets en fer qui
proviennent vraisemblablement de ces sièges.
12)
Les Érard portaient d'azur à trois membres de griffon d'or appuyés sur trois
chicots d'argent, le tout en pal, 2 et 1, Soc. hist. et arch. de l'Orne,
LXX, 1952, p. 59 et fig. 9.
13)
Des travaux ultérieurs ont permis de retrouver une fenêtre d'origine, beaucoup
plus petite et étroite que celles qui ont été aménagées par la suite.
14)
La chose serait à préciser, mais il semble très possible que les trois
squelettes qui reposent dans la crypte de l'église Saint‑André
d'Échauffour soient ceux de Gaspard Érard Le Gris et de ses deux épouses.
15)
On en trouvera le détail dans le savant livre du chanoine P. Fiament, L'abbé
Lafosse, fondateur de l'Éducation chrétienne, 1772‑1839, couronné par
l'Académie Française.
16) Il
est intéressant de noter que le territoire de la commune d'Échauffour étant
limité au Sud par le cours de la Risle, il fallut pour aménager la gare, de Sainte-Gauburge
détourner le cours de cette rivière vers le Nord, et qu'en fait cette gare
s'est trouvée en partie sur Échauffour.