Allocution de M. l'abbé
Guerchais
Curé d'Echauffour
Mes frères,
Pour la dix-septième fois
dans l'espace de cinq années, la mort vient de s'abattre subitement sur le
territoire d'Echauffour, et aujourd'hui sa victime n'est pas seulement un
paroissien modèle, mais un écrivain célèbre dont la renommée s'est répandue
dans toute la France et à l'étranger.
Ce n'est pas cependant sa gloire littéraire que je
veux proclamer ici ; d'autres voix plus autorisées que la mienne le feront,
sans doute tout a l'heure ; ce que je tiens à mettre en relief, c'est son
apostolat littéraire, car, mes frères, M. Paul Harel était vraiment un apôtre.
Un apôtre doit puiser dans la méditation et la
prière les idées qu'il veut répandre autour de lui, et celui que nous pleurons
aujourd'hui ne manquait pas à ce premier devoir.
Si sont état de santé ne lui permettait pas depuis
longtemps de fréquenter l'église autant qu'il l'aurait voulu, ses entretiens
avec Dieu étaient de tous les jours; la récitation et la méditation du Rosaire
lui étaient familières et, lorsqu'il avait ainsi prié, il travaillait.
Ah ! ce travail intellectuel, il est parfois peu
compris, et cependant, quelles fatigues il entraîne ! Lorsque le monde goûte le
repos de la nuit, l'écrivain s'épuise souvent à la recherche d'une phrase, d'un
mot qui expriment exactement sa pensée, et quand ce labeur est pour Dieu, de
quels mérites n'est il pas la source ?
Hélas ! il n'en est pas toujours ainsi. Que
d`écrivains gâchent leur talent et passent leur vie à faire l'œuvre du démon !
Qui nous dira le mal que fait dans le monde la mauvaise presse ! Ces hommes et
même ces femmes sans conscience produisent des oeuvres sans discontinuer et,
que leur prose ou leurs vers soient plus ou moins conformes aux lois de la
littérature, qu'importe ! Pourvu qu'ils flattent les passions humaines, ils
sont à peu près, assurés du succès. Ces brillants succès entraînant de gros
bénéfices, notre poète aurait pu facilement les conquérir, mais il avait pour
cela trop de conscience et trop de désintéressement ; ce qu'il a voulu chanter,
c'est la Foi, l'Espérance et la Charité, la charité qu'il savait si bien pratiquer,
surtout envers les humbles, les ouvriers ; sans doute il ne méprisait pas les
joies de la terre, il n'était pas insensible aux beautés de la nature, mais il
savait apprécier les dons de Dieu, et tout était pour lui occasion de rendre
gloire au Créateur.
La famille, que les impies s'acharnent à détruire,
le retour à la terre, question capitale pour l'avenir de notre pays, tels
étaient les sujets habituels que M. Paul Harel aimait à traiter ; mais la
remarque en fut faite récemment : plus il avançait dans la vie, plus il
semblait s'élever ; la récente institution de la fête du Christ‑Roi
l'avait enthousiasmé et lui avait inspiré une oeuvre qu'il rêvait de faire
exécuter prochainement dans sa chère église paroissiale.
Il avait un respect profond pour le Vicaire de
Jésus-christ ; aussi comme il prenait part à ses préoccupations et à ses
angoisses!
Une de ses dernières oeuvres fut un appel plein de
tendresse et de charité à ceux qui s'égarent et se fourvoient dans les
sentiers de l'erreur.
Enfin, mes frères, sur son bureau un dernier volume
était en préparation, il a pour titre : "Poèmes à la gloire du
Christ."
Mes frères, une telle vie est une préparation
continuelle à la mort ; celle-ci peut venir à l'improviste ; elle ne surprend
pas le chrétien qui l'attend de pied ferme.
M. Harel avait néanmoins toujours redouté les jugements
de Dieu ; il nous confiait un jour que, ces dernières années seulement, la
Sainte Vierge lui avait obtenu la grâce d'envisager paisiblement ce jour
suprême.
Que de fois a-t-il dit à sa
digne compagne: "Ah que j'aime le bon Dieu ! Comme je voudrais le
voir!"
Cher Ami, avec votre famille
nous espérons que votre vœu admirable est déjà accompli, car Notre Seigneur
Jésus-christ a dit : Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez,
frappez et il vous sera ouvert. Oui, nous avons la douce persuasion que cette
porte du ciel vous fut ouverte toute grande ; néanmoins nous continuerons de
prier pour vous, ainsi que la religion nous en fait un devoir.
Oui, mes frères, vous qui êtes venus en foule à cette cérémonie,
vous prierez encore pour le cher défunt et vous recueillerez la grande leçon
qui se dégage de cette vie et de cette mort foudroyante. C'est un éloquent
commentaire de la parole évangélique : « Soyez toujours prêts, car vous ne
savez ni le jour ni l'heure. »
Estote parati !
AMEN.
(Dans Paul HAREL (1854-1927) Ses obsèques –
Quelques articles nécrologiques – Imprimerie E. LANGLOIS ARGENTAN 1927)