PRÉFACE
de Monseigneur de la SERRE
RECTEUR HONORAIRE DE L'INSTITUT CATHOLIQUE
DE PARIS
PRÉSIDENT DE LA SOCIETE DES AMIS DE PAUL
HAREL
La
Société des Amis de Paul Harel réédite dans le présent volume une partie des oeuvres
du poète et conteur normand. Déjà sans doute M. Laurent‑Cernières nous
avait donné, peu après la mort de Paul Harel, des pages choisies, vers et
prose. Mais, outre que ce volume est épuisé en librairie, il a paru que la
place faite aux contes y était trop réduite par rapport aux poèmes. Aussi
présentons‑nous d'abord les Souvenirs d'Auberge.
C'est
là peut‑être qu'Harel est le plus lui-même: on l'y retrouve observateur
attentif des choses et des gens, sa bonne humeur et son entrain apparaissent
dans l'allant de ces récits; et le mélange d'invention et de réel, de comique
et d'émotion, correspond bien à son caractère et résume les aspects de son âme.
Paul
Harel aurait pu n'être qu'un rêveur ou rester un grand enfant, inoffensif,
dépensier et incapable. Mais il apprit au moment opportun la valeur du travail
à l'école de Gustave Levavasseur et par les exigences de son inspiration. Ce
fui la poésie qui en fil un homme. Il chercha les formes, l'expression, les
rimes, approfondit ses sentiments, s'observa, subit l'ascèse artistique qui
élague, exige, stimule, mûrit, condense et s'élance. Toute une lignée
d'honnêtes gens, terriens assidus, dignes bourgeois, commerçants sérieux,
paroissiens fidèles, revécut alors en lui pour affirmer, en un domaine nouveau,
la loi de l'effort et de Ici continuité, dont ils avaient vécu eux-mêmes.
Dès
lors l'horizon s'élargit, les sujets à traiter s'amplifient, s'ennoblissent et
se creusent. Tout un monde émerge, précis, divers, vivant et parfois tragique,
de cette petite vie rurale qui paraissait dormir. Paul Harel comprend mieux ce
qu'il est, s'explique son talent, ses attachements, ses joies, se justifie son
existence, organise ses rêves. Un individu rencontré évoque toute une catégorie
sociale, un arbre abattu devient un drame, la fête du village une épopée. Sans
perdre pied, bon mangeur, bon buveur, gai compagnon, mais désormais au‑delà
des affaires matérielles, il anime, il élargit le cadre de sa vie, il invente
des situations, il suppose des aventures. Comme toutes les fantaisies de
Rabelais dans son Pantagruel lui sont inspirées par de modestes histoires de
voisinage dans un coin de la calme Touraine, Harel, sans sortir de chez lui,
mais au contraire en y restant à la source de son inspiration, retrouve un
monde entier, le sent vibrer, sympathise, et le projette agrandi, à peine
déformé mais à peine reconnaissable, sous les yeux du lecteur. Dans son être et
dans son esprit, le terre-à-terre et le lyrique, l'épisodique et l'éternel
cheminent côte‑à‑côte comme don Quichotte et Sancho, s'inspirant et s'entraînant l'un l'autre. C'est ce qui
fait le mérite de ses contes.
Par
sa vie à Echauffour, par cet élargissement du réel, Paul Harel, en ses
réflexions, devina et comprit le drame de la terre française et de son
morcellement, les lassitudes de ses paysans, les tentations de la ville
industrielle ou du commerce sans énergie et s'efforça de les traduire dans ses
poèmes et dans l'Herbager. Ainsi, partant de ses thèmes aimés si
simples, il aboutit un temps à la rédaction de la Quinzaine et accepta
que le poète entrât dans la bagarre des systèmes et des luttes d'idées.
Cet
aspect social de la vie et de l'œuvre de Paul Harel n'est pas le moins
intéressant. Il milita tel qu'il était sans fiel, sans rancune, sans perdre sa bonne humeur, avec soit imagination, son
bon sens et sa loi.
Il
eut encore le privilège de faire l'entente
autour de lui : ses admirateurs et ses amis se retrouvaient volontiers,
encore qu'ils lussent de divers bords et que les mesquineries de la politique
radicale aient battit leur plein de son temps. Comme dans la chasse à courre,
dont il a délicieusement enjolivé les aspects dans ses Chansons de Chasse les châtelains,
les ouvriers, les cavaliers, les piétons. les engourdis et les sportifs, se
retrouvent pour un temps fraternels, happés par l'intérêt de la poursuite, il
entraîna dans sa bonne humeur accueillante, dans sa verve, dans son rêve
lyrique, parfois dans sa mélancolie grave, toits ceux qui le connaissaient ou
le lisaient.
C'est cette sincérité,
cette solidité de l'homme, la valeur de son amitié, sa robuste droiture et son
sourire à la fois malicieux et rêveur, que nous aimons à saluer. Ils méritent
qu'on se souvienne non seulement de l'œuvre mais de l'auteur. L'œuvre est
saine, originale, ferme ci colorée. L'auteur lut à la fois compagnon jovial,
cœur chaud, ami sincère, tendre époux, rêvent, magnanime, chrétien convaincu.
Cela évoque, dans les campagnes ,normandes, la lumière d'un plein soleil d'été
qui s'accompagne toujours d'une brume légère. Il est bon, ne serait‑ce
qu'un jour, de se réjouir à cette lumière.
PAUL HAREL – ŒUVRES – I. SOUVENIRS D'AUBERGE
– 1954, Dieppe, Imprimerie de la VIGIE DE DIEPPE.